INVALIDES : HOMMAGE NATIONNAL
Drapeau en berne mais fleur au fusil. La sonnerie aux morts résonnera aujourd’hui, en fin de matinée, dans la cour de l’hôtel des Invalides à Paris, où un hommage national doit être rendu en présence du chef de l’Etat aux dix militaires français tombés lundi sous les balles des talibans en Afghanistan.
Le gouvernement au grand complet devrait assister à la cérémonie qui se déroulera après le premier Conseil des ministres de rentrée. Les honneurs seront rendus aux soldats dont les dépouilles ont été rapatriées mercredi, à la suite de leurs vingt et un frères d’armes blessés durant l’embuscade et qui ont été pris en charge dans des hôpitaux militaires aussitôt leur arrivée en France. Accueillis par le secrétaire d’Etat à la Défense, Jean-Marie Bockel, ils ont reçu, dans la journée, la visite du Premier ministre François Fillon.
Il a donc fallu dix morts pour que la nation se souvienne qu’elle est en guerre. Une guerre menée par l’OTAN sous l’égide de l’ONU, que les alliés n’ont peut-être pas les moyens de gagner contre un ennemi insaisissable, mais qu’ils ne peuvent pas se permettre de perdre.
Mercredi matin, Nicolas Sarkozy a endossé l’uniforme de chef suprême des armées pour se rendre en Afghanistan auprès des troupes endeuillées. S’associant à la « peine indicible », le président de la République a rendu hommage à « l’indispensable travail » des militaires français dans « le combat contre le terrorisme et la barbarie ». Ce faisant, il a rappelé et martelé que la France n’abandonnerait pas le champ de bataille face aux factions terroristes talibans.
Redisant sa « détermination intacte », Nicolas Sarkozy se veut donc inflexible. En avril dernier, il avait décidé de l’envoi de 700 hommes supplémentaires en Afghanistan, portant les forces françaises à près de 2.600 soldats. « Je vous le dis en conscience, si c’était à refaire, je le referais », a-t-il déclaré hier aux militaires présents sur le front. Pas question, donc, d’envisager le moindre retrait de la coalition, comme l’exige une baroque alliance d’occasion du PC, de la LCR et du FN. En revanche, et ainsi que le demande le Parti socialiste et certains au sein de la majorité, un débat devrait bien avoir lieu devant le Parlement portant sur les objectifs de l’engagement des forces françaises en Afghanistan et les moyens qui doivent lui être alloués.
Car d’un strict point de vue militaire, les Etats-Unis, fer de lance de la coalition, pourraient demander à leurs alliés de nouveaux efforts, notamment via l’engagement de matériels supplémentaires.
Le matériel, justement, est-ce ce qui a fait défaut aux soldats pris dans l’embuscade ? Ceux-ci ont été attaqués alors que leur colonne passait le col d’une montagne, masquant leur visibilité. Or, les Français ne disposent pas, dans le pays, de drones (avions de surveillance sans pilote) qui auraient pu permettre une reconnaissance préalable. Plus grave, dans son édition d’hier, le journal Le Monde faisait état de témoignages mettant en cause des tirs de l’OTAN ayant touché les militaires français.
Le général Irastorza, chef d’état-major de l’armée de terre, estimait quant à lui qu’après « le temps de la compassion », viendrait celui « du retour d’expérience » et donc d’une enquête minutieuse sur les circonstances du sanglant affrontement.
« Tout Castres fait corps avec les familles des tués et blessés »
Le premier registre de condoléances et de messages de soutien ouvert à la mairie de Castres est déjà intégralement noirci de douleur, de larmes et de regrets. Il est 14 h 30, ce mercredi, et la file d’attente devant le deuxième recueil de pensées n’a pas fini de s’allonger : « C’est un va-et-vient incessant, témoigne une assistante du maire Pascal Bugis. La queue fait au moins trente mètres, elle est constituée de retraités, d’anciens combattants, de quidams qui viennent dire leur solidarité. Vous savez, le « 8 », c’est Castres ! Dans les rues, tout le monde parle du drame. » Dès mardi soir, en ouverture d’un match amical contre l’Italie, les rugbymen du Castres-Olympique ont respecté une minute de silence.
Les drapeaux ont été mis en berne. Signe extérieur d’un chagrin collectif qui se manifeste aussi par le dépôt de bouquets contre les grilles de la caserne et par le port des fameux rubans jaunes mis en vente au début de l’été, deux euros pièce, pour améliorer l’ordinaire des paras déployés dans cet Afghanistan hostile aux forces de l’Otan. « Nous en avions déjà vendu beaucoup avant la tragédie et on nous en redemande depuis, témoigne la vendeuse de la papeterie Coulier. Il faut comprendre que, même si c’est une ville, il y règne presque un esprit village. Le “8” fait partie de notre identité. »
L’osmose avec l’infanterie de marine est telle que nul n’a boudé l’initiative : les rubans jaunes se sont affichés en boulangerie, mercerie, boucherie, bijouterie, jardinerie, chez les coiffeurs, bureaux de presse, garagistes, pharmaciens, au golf, et même dans les cabinets de kinésithérapeutes ou vétérinaires. Via le blog Les Familles du 8, les Castrais ont pu mesurer la joie des paras ouvrant les colis expédiés grâce à l’argent collecté, jusqu’à des réfrigérateurs à gaz et des baby-foot ! Sur le site, photos et mails de la semaine dernière témoignent d’une humeur joyeuse : « Nous sommes tous très heureux de faire notre métier à fond et le moral est au beau fixe. Vive les rubans jaunes et bonne journée à tous », écrivait ainsi un para, le 16 août, louant avec humour « l’excellence des viandes et poissons » servis aux repas. Rassurer les proches restés au pays faisait partie de la mission !
Désormais, sur le blog, les anonymes se recueillent sous la liste des noms de huit hommes tombés l’arme à la main : sergent-chef Sébastien Devez, caporal-chef Damien Buil, caporal-chef Nicolas Grégoire, et les 1res classes Kevin Chassaing, Damien Gaillet, Julien Le Pahun, Anthony Rivière et Alexis Taani. « A leurs épouses et compagnes, à leurs enfants, à leurs parents, à leurs frères et sœurs, nous redisons notre solidarité et notre compassion, » lit-on le cœur lourd.
L’édile Pascal Bugis a pris le train hier après-midi, « il sera aux côtés des familles lors de la cérémonie aux Invalides », indique le conseiller Audouy. C’est ce jeudi, aussi, que la ville fêtera le 64e anniversaire de sa libération : « Nous débuterons la célébration par un hommage aux morts du 8e RPIMa. » Castres, marraine du régiment, observera ensuite une minute de silence.