Afghanistan : AVIS du Parlement

Publié le par Takeda Tetsuya

Un mois après la mort de dix soldats français près de Kaboul, l'Assemblée nationale a approuvé, lundi 22 septembre, la prolongation du mandat des forces françaises en Afghanistan. Le maintien des troupes a été approuvé par trois cent quarante-trois voix contre deux cent dix. La majorité présidentielle – UMP et Nouveau Centre – a voté pour, l'opposition – PS, Verts, PC – a voté contre. Dans la foulée, les sénateurs ont imité leurs collègues députés et donné leur feu vert à la prolongation du mandat des soldats français.




Avant le début de la discussion à l'Assemblée, François Fillon a annoncé l'envoi, dans les prochaines semaines, de moyens militaires supplémentaires "dans les domaines de l'aéromobilité, du renseignement et de l'appui". Des hélicoptères Caracal et Gazelle, des drones, des moyens d'écoute et des mortiers supplémentaires seront envoyés "avec les effectifs correspondants, soit une centaine d'hommes", qui viendront renforcer le contingent de quelque deux mille six cents hommes déjà déployé, a précisé le premier ministre.




Il a aussi défendu la stratégie de la France sur le terrain, alors que l'opposition demande des "précisions" et estime que la stratégie actuelle conduit à l'"enlisement". Le chef du gouvernement a expliqué que Paris était engagé en faveur de "la démocratisation, la réconciliation, la reconstruction rapide". Il a de nouveau nié que la France soit "en guerre", mais reconnu que ses troupes pouvaient occasionnellement être engagées dans des "opérations de guerre".

Revenant sur les différentes polémiques qui ont vu le jour au lendemain de l'embuscade meurtrière du mois d'août, François Fillon a dénoncé "le mensonge et la désinformation". Sur les informations parues dans le journal canadien The Globe and Mail faisant état d'un manque de munitions et d'équipement, il a évoqué "un compte rendu à chaud qui ne recoupe pas les informations complètes que nous avons recueillies".

Le chef de la diplomatie française, Bernard Kouchner, appelle quant à lui les députés à "ne pas abandonner nos amis afghans". Reconnaissant qu'"il n'y a ni certitude, ni sauveur suprême", le ministre se dit surtout "incapable de changer de stratégie en deux mois".

"NOUS NE RENONCERONS JAMAIS"

Le président du groupe socialiste, Jean-Marc Ayrault, a de son côté justifié le non des socialistes au maintien des troupes en soulignant que le PS "n'accepte plus la dérive à l'œuvre" qui conduit, selon lui, à un glissement "vers une guerre d'occupation". "Nous ne votons pas contre la poursuite" de l'engagement français, "nous votons contre une conception politique et militaire qui nous conduit dans une impasse", a-t-il dit. Sur le fond du dossier, la position socialiste se distingue de celle de l'exécutif par la volonté de définir, à l'avance, un "calendrier" de retrait. S'exprimant au nom des Verts et des communistes, Noël Mamère va plus loin, appelant à un "retrait des troupes". "Il faut se rendre à l'évidence, la coalition a perdu la guerre", estime-t-il, appelant par ailleurs à la création d'une commission d'enquête parlementaire destinée à faire la lumière sur l'embuscade du 18 août.

Jean-François Copé, président du groupe UMP, interpelle les députés : "Ce qui compte c'est la responsabilité que nous portons chacun aujourd'hui sur nos épaules." Selon lui, "le maintien est légitime et nécessaire" et "les droits de l'homme valent la peine de prendre un risque". Dans les couloirs de l'Assemblée, François Bayrou, président du MoDem, annonçait, lui, son intention de voter pour : "Si on pliait bagages en quelques jours, ce qu'il faudrait faire si le vote était non, cela voudrait dire pour tout le monde que les talibans ont gagné."

Si son objectif était de remporter un petit succès de politique intérieure en plaçant la gauche dans l'inconfortable position d'avoir à voter contre le maintien des troupes françaises en Afghanistan, Nicolas Sarkozy a eu gain de cause. Mais le fait marquant de ce débat parlementaire est une rupture du consensus qui prévalait jusque-là entre la majorité et l'opposition s'agissant du soutien aux soldats français engagés dans une opération extérieure.



Il faut remonter à l'envoi de parachutistes français sur Kolwezi, au Zaïre, décidé par Valéry Giscard d'Estaing en mai 1978, pour retrouver pareille division politique. A l'époque, François Mitterrand avait critiqué cette intervention et réclamé un "véritable débat", mais la gauche n'avait pas déposé de motion de censure.

Par la suite, qu'il s'agisse des interventions en Bosnie, au Kosovo, au Rwanda, lors de la première guerre du Golfe, au Liban et, dernièrement, au Tchad, aucun parti politique n'avait pris le risque de refuser son soutien politique au gouvernement ayant décidé d'envoyer des soldats français à l'étranger.

Le précédent qui a été créé lundi n'est pas de bon augure : outre que des soldats en opération ont besoin de se sentir soutenus, cette fracture politique ne peut qu'accentuer le scepticisme des Français sur le bien-fondé de la présence de soldats français en Afghanistan, qu'attestent les sondages. Celui-ci a une cause évidente : depuis la décision prise, en 2001, par Jacques Chirac et Lionel Jospin, d'engager la France dans le conflit afghan, l'exécutif a fait l'économie d'une indispensable pédagogie.


La gauche a-t-elle choisi de suivre une opinion publique peu convaincue ? Le président du groupe socialiste, Jean-Marc Ayrault, était mal à l'aise pour expliquer que ses amis ne votent pas "contre la poursuite" de l'engagement français, mais "contre une conception politique et militaire" conduisant à une "impasse". Car si le non l'avait emporté, la France n'aurait eu d'autre choix que de quitter l'Afghanistan, et par voie de conséquence l'Alliance atlantique, puisque c'est sur le succès ou l'échec de cette opération militaire que l'OTAN joue sa crédibilité.


Qu'il y ait dans ce processus un engrenage militariste au détriment d'une solution politique, tout le laisse craindre. Mais les Etats-Unis fournissent 38,8 % des troupes en Afghanistan et, comme le rappelait récemment le général Georgelin, chef d'état-major des armées, "c'est le plus fort qui donne le tempo".

Laurent Zecchini

Publié dans Actualité française

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