EADS, un malentendu franco-allemand

Publié le par Takeda Tetsuya

 la chronique de Jean-Michel Quatrepoint. Le cas EADS montre bien le quiproquo qui se joue entre Français et Allemands. Quand la France pense à l'Europe, l'Allemagne pense à ... l'Allemagne. jusqu'à faire des usines françaises des sous-traitants.



Les Français, en l'occurrence le gouvernement de Lionel Jospin, ont créé EADS au nom de l'Europe. Les Allemands, eux, l'ont fait au nom de l'Allemagne. Les frictions franco-allemandes, qui s'aggravent sur le terrain, les conflits internes et les péripéties ayant perturbé la vie du groupe proviennent de ce malentendu de départ. Pour comprendre les dérives de ce beau projet, il faut remonter à la création même d'EADS. Lorsque Lionel Jospin gagne les législatives de 1997, il se prend à rêver d'une Europe social-démocrate qu'il pourrait cogérer avec ses partenaires au sein de l'internationale socialiste : le Britannique Tony Blair et l'Allemand  Gerhard Schröder.

Rêves de puissance et concessions
Las ! L'un et l'autre ont fait leur choix. Celui de s'intégrer dans le processus de globalisation et de faire en sorte que leur pays en tire le maximum d'avantages en se spécialisant sur quelques grands secteurs d'activité, au nom de la théorie des avantages comparatifs, chère à l'économiste David Ricardo. Pour les Britanniques, c'est bien évidemment la finance et tout ce qui gravite autour. Pour l'Allemagne, c'est tout naturellement l'industrie. La France, elle, ne choisit pas. Elle fait les trente-cinq heures, développe le concept de services à la personne. Pour le reste, elle rêve toujours d'une Europe puissante et de grands projets industriels communs, qui méritent quelques gestes. C'est ainsi qu'en contrepartie de la création d'une monnaie unique, la France multipliera les concessions à l'Allemagne.

C'est le même état d'esprit qui va présider à la création d'EADS. L'idée est de créer un concurrent des Américains, au moment où Boeing fusionne avec McDonnell Douglas. L'opération se fait en deux temps, avec une fusion Aérospatiale Matra. Et, au passage, un beau cadeau au groupe Lagardère. Puis on regroupe cet ensemble avec les participations allemandes dans Airbus, Eurocopter et les intérêts de Daimler dans la défense. Les poids respectifs des deux ensembles ne sont pas les mêmes. Les apports allemands ne pèsent que 40% ; ceux des Français 60%. Or, Lionel Jospin accepte un 50-50, et une parité franco-allemande totale.

Pour l'Allemagne, la recherche d'une légitimité
Ce cadeau était le moyen d'arrimer les Allemands à ce projet commun. De l'autre côté du Rhin, l'interprétation sera, en fait, tout autre. Les Allemands ont voulu y voir la preuve que les Français étaient au fond décidés à leur laisser peu à peu le leadership dans l'aéronautique. Un repli que leurs dirigeants n'auraient pas voulu afficher, mais qui était inscrit dans le calendrier d'EADS, dès lors que la sortie des actionnaires privés, et surtout de l'Etat français, était programmée à terme.

Les Allemands ont toujours eu l'ambition de revenir dans l'aéronautique qui était avant-guerre un de leurs domaines d'excellence. Airbus comme Eurocopter ont été pour eux le moyen de retrouver une légitimité. Aujourd'hui, ils entendent récupérer le leadership. Et avoir la maîtrise des processus de fabrication et des technologies chez Airbus et Eurocopter. Ils veulent appliquer à EADS le modèle d'organisation mis en œuvre depuis une douzaine d'années dans les autres secteurs industriels, à commencer par l'automobile. Un modèle à base d'outsourcing et d'offshoring. On sous-traite et on délocalise, mais en contrôlant l'ensemble du processus. La touche finale et l'essentiel de la valeur ajoutée se font en Allemagne, afin d'y conserver les emplois les plus qualifiés, la maîtrise de la technologie et les recettes à l'exportation. Dans ce schéma, la France devient à terme un sous-traitant… de premier rang.

Publié dans Actualité française

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